dimanche 11 septembre 2011

"Ils possèdent leur maîtresse au même titre que leur voiture, pour en éclabousser les passants..." Les Lions, vus par Frédéric Soulié (1841)

Aussi célèbre en son temps qu'Honoré de Balzac, Frédéric Soulié a publié au début du XIXe s. un portrait critique de cette jeunesse qui se voulait élégante, et qui n'était qu'extravagante : les "Lions" du Paris de Louis-Philippe. Les lignes qui suivent sont extraites du Lion amoureux (1841) :

Paul Gavarni (1804-1866), le Dandy de Paris
"La race à laquelle le lion appartient a toujours vécu en France sous divers noms : ainsi le lion s'est appelé autrefois raffiné, muguet, homme à bonnes fortunes, roué; plus tard, muscadin, incroyable, merveilleux et dernièrement, enfin, dandy et fashionable; aujourd'hui c'est lion qu'on le nomme.

Pourquoi ?

Est-ce parce qu'il est le roi de parcelle de la société qu'on appelle le monde ? Est-ce parce qu'il prend les quatre parts de la proie que d'autres l'ont aidé à saisir ?
Je ne puis vous le dire; mais je vais tâcher de vous esquisser sa physionomie, et puis vous devinerez, si vous pouvez.

Le lion est en général un beau garçon qui a passé de l'état d'enfant à l'état d'homme, la prétention d'être un jeune homme étant abandonnée depuis longtemps aux hommes de quarante à cinquante ans; car, de nos jours, l'état de jeune homme est presque aussi méprisé que celui de vieillard.

Or, le lion, n'ayant jamais été jeune homme, n'a presque jamais fait aucune des sottises jeunes qui partent du cœur, quoiqu'il aime le jeu, les femmes et le vin, comme disent les refrains de l'Empire, une des choses que le lion méprise le plus. Mais cet amour n'est pas de l'amour, car ce n'est pas pour eux que ces messieurs ont ces trois passions, auxquelles ils joignent, quand ils le peuvent, celle des chevaux.

La véritable passion est, de sa nature, personnelle, cachée, discrète; la leur, au contraire, est toute d'apparat et de luxe. Ils possèdent leur maîtresse au même titre que leur voiture, pour en éclabousser les passants, et ils dînent aux fenêtres du café de Paris parce que c'est l'endroit le plus apparent de la capitale; en effet, ils n'ont pas la prétention de boire, mais de vider un grand nombres de bouteilles, ce qui est différent.

Les lions sont donc en général fort ignorants de l'amour, de ses folies les plus passionnées, de ses bonheurs les plus délicats, de ses espérances insensées, de ses craintes frivoles, et surtout de ses charmantes niaiseries."